Menu

Méditons avec Marie de l'Incarnation

Les écrits de Marie de l’Incarnation sont choisis par madame Thérèse Nadeau-Lacour, théologienne; les réflexions sont de sœur Marie-Josée, moniale ermite de la Vierge Marie. 

Paroles et prières

Dialoguer avec Dieu

Dialoguer avec Dieu

Si vous possédez cet entretien amoureux de cœur avec Dieu, vous êtes heureux dès cette vie. En cet état les emplois n’empêchent pas l’union avec Dieu, mais ils laissent toujours l’âme dans son centre qui est Dieu, et la disposent à une plus haute et plus parfaite union avec lui. Si vous voulez jeter la vue sur les écrits que je vous ai autrefois envoyés, vous verrez que j’ai été plusieurs années en cet état, qui me donnait une grande force pour porter les travaux et les grands sujets de distraction que j’avais chez mon frère avec lequel j’ai demeuré onze ans. Cet état change, et il conduit l’âme, en l’élevant de plus en plus, à l’union la plus intime avec la divine majesté. N’ayez point de volonté, laissez-vous conduire à son divin Esprit ; c’est ce qu’il demande de vous, soit pour le spirituel, soit pour les emplois extérieurs ; croyez-moi je vous en supplie.

Lettre CCXXXIII à son fils, 1667

 

Réflexion

Vous cherchez le bonheur dès cette vie ? Vous serez heureux immanquablement « si vous possédez cet entretien amoureux de cœur avec Dieu ». Cet entretien, c’est ce que l’on appelle l’oraison, cette relation familière que l’on entretient avec Dieu. Mais Dieu, où le trouver pour m’entretenir avec lui ? Dieu est « le centre de l’âme ». Dieu, Trinité de personnes, habite en nous et jamais ne nous quitte. Plus encore, il est le fond le plus intime de nous-mêmes. Il désire notre compagnie, car il sait que si nous l’aimions et le connaissions ce serait déjà être au paradis.

Tendre vers Dieu

Tendre vers Dieu

Si Dieu vous aime, vous passerez par des changements d’états spirituels, dans lesquels vous croirez que tout est perdu pour vous : mais en quelque état que vous soyez, souvenez-vous toujours que l’intention de Dieu est de vous y sanctifier [...]  La tendance est le premier état de l’âme blessée du saint amour et qui, ayant encore le dard sacré dans la plaie, souffre pour s’unir à son vainqueur, parce qu’elle ne le peut encore atteindre, eu égard à sa grande dissemblance, et n’étant pas encore dans la pureté requise à l’union qu’elle prétend et où elle aspire. Il lui faut passer par divers feux et par diverses morts, avant que d’y posséder son bien-aimé. C’est pourquoi elle soupire jour et nuit, et par des élans continuels, elle ouvre ses bras, ou pour mieux dire, elle étend ses ailes, qui sont dans un continuel mouvement.

Lettre CI, à sa nièce, 1646, p. 298 ; Relation de 1654, Supplément VIII, p. 376

 

Réflexion

Dans cette relation, Dieu a toujours l’initiative. C’est lui qui nous éveille à sa présence et qui éveille en nous « la tendance », « l’aspiration », à s’approcher de lui. Cette initiative de Dieu est comme une blessure inguérissable : si Dieu te touche tu ne pourras plus oublier qu’il est là et qu’il t’appelle à son intimité. Bien plus, toute personne venant en ce monde, porte en lui cette blessure : il est fait pour s’unir à ce Dieu qui est son centre, il le porte, comme une blessure au cœur, au plus creux de son désir.

Prendre appui sur Dieu dans l’épreuve

Prendre appui sur Dieu dans l’épreuve

Diverses affaires qui suivirent cette séparation [la mort de mon époux] m’apportèrent de nouvelles croix, et naturellement plus grandes qu’une personne de mon sexe, de mon âge et de ma capacité les eusse pu porter. Mais les excès de la bonté divine mirent une force et un courage dans mon esprit et dans mon cœur qui me fit porter le tout. Mon appui était fondé sur ces paroles saintes qui disent : Je suis avec ceux qui sont dans la tribulation. Je croyais fermement qu’il était avec moi, puisqu’il l’avait dit, de sorte que la perte des biens temporels, les procès, ni la disette, ni mon fils qui n’avait que six mois, que je voyais dénué de tout aussi bien que moi, ne m’inquiétaient point. L’Esprit qui m’occupait intérieurement, me remplissant de foi, d’espérance et de confiance, me faisait venir à bout de tout ce que j’entreprenais.

Relation de 1654 ; fin du premier état d’oraison

 

Réflexion

L’habitude de vivre avec les Personnes divines fait grandir notre foi, notre confiance en elles. Notre foi chrétienne n’est pas intellectuelle, elle est la confiance que nous donnons à quelqu’un qui, par sa Parole, nous a révélé qui il est et l’amour qu’il nous porte. Marie de l’Incarnation nous montre ici comment, au milieu de ses tribulations, elle se redisait cette parole : « Je suis avec ceux qui sont dans la tribulation » ; parce que sa foi, sa confiance étaient grandes, elle pouvait s’appuyer sur cette parole pour adhérer à Dieu fermement et puiser en lui la force.

Désirer être tout à Dieu

Désirer être tout à Dieu

Mon âme, se voyant comme absorbée dans la grandeur immense et infinie de la majesté de Dieu, s’écriait : « Ô largeur, ô longueur, ô profondeur, ô hauteur infinie, immense, incompréhensible, ineffable, adorable ! Vous estes, ô mon grand Dieu, et tout ce qui est n’est pas, qu’en tant qu’il subsiste en vous et par vous. Ô éternité, beauté, bonté, pureté, netteté, amour, mon centre, mon principe, ma fin, ma béatitude, mon tout ! » [...] Mon très cher fils, vous ne pouvez rien désirer de plus avantageux pour vous et pour moi, sinon que nous soyons tout à Dieu. C’est là mon unique pente, c’est ce que je veux uniquement, et tout m’est croix hors de ce centre. Le poids de la nature me nuit, et je ne le porte qu’avec résignation à la très sainte volonté de Dieu. Je parle de la nature corrompue qui n’entend point les lois de l’esprit, et qu’il faut porter avec patience et humilité.

Lettre 1, à dom Raymond, son directeur, 1626 – elle a 27 ans – ;

Lettre CCLXXI, à son fils, 1670 – elle a 71 ans – p. 920


Réflexion

Nous trouvons dans ces deux passages le vocabulaire par lequel Marie de l’Incarnation met en position les partenaires de l’expérience spirituelle : Dieu, dans « sa grandeur immense et infinie », est expérimenté comme son « centre », et elle, qui est celle qui désire être à ce Dieu présent : « C’est là mon unique pente, c’est ce que je veux uniquement et tout m’est croix hors de ce centre. » Au soir de sa vie, elle n’est plus que cela : un désir non pas anxieux ou violent venant d’elle, mais une pente, quelque chose d’établi, de stable, de fondamental.

Attendre tout de Dieu

Attendre tout de Dieu

Hé quoi, un « chétif » cœur est-il digne de Jésus ? Des personnes aussi « chétives » que je suis pourront-elles aimer Jésus ? Il m’est demeuré en l’âme une impression qui m’a toujours continué depuis, qui est que je me vois comme immobile et impuissante à rien faire pour le bien-aimé. Je me vois comme ceux qui sont anéantis en eux-mêmes, et cela me met dans un extrême abaissement, qui me fait encore davantage aimer : car je vois très clairement qu’il est tout et que je ne suis rien, qu’il me donne tout et que je ne puis lui rien donner. Ne suis-je donc pas bien riche dans ma pauvreté, puisque j’ai le Tout dans mon néant ? Je le dis encore une fois, je suis comme les petits enfants dans mon impuissance ; tout ce que je puis faire c’est d’attendre les volontés de l’amour sur moi, où il fera tout par sa pure bonté.

Lettre VI, à dom Raymond, 1627, p. 11

 

Réflexion

Marie est une grande mystique. Son expérience a-t-elle quelque chose à voir avec la nôtre ? Elle a, bien plus que nous, cette conscience claire, évidente, d’être « chétive, immobile, impuissante, dans un extrême abaissement », « je ne suis rien », « je ne lui puis rien donner », « ma pauvreté, mon néant, mon impuissance ». Des mots ? Non, c’est la réalité, la sienne comme la nôtre. Mais cette pauvreté est sa richesse : « je suis comme les petits enfants dans mon impuissance ; tout ce que je puis faire c’est d’attendre les volontés de l’amour sur moi où il fera tout par sa pure bonté ».

Marcher avec Dieu

Marcher avec Dieu

Vous voyez, ma chère fille, que je vous veux dans la pratique d’une vraie et solide vertu : Car si vous y travaillez les bénédictions du Ciel viendront en abondance dans votre âme. Il est question de devenir sainte, et partant il faut marcher d’un bon pas dans la voie de la sainteté. Et ne vous excusez pas sur votre jeunesse, car si vous êtes jeune d’âge, il faut être ancienne de sens. Prenez patience dans les occasions qui vous tirent de la solitude par obéissance ou par nécessité […] Faites en votre âme, comme sainte Catherine de Sienne, une solitude intérieure, que vous puissiez garder partout, et tâchez d’y vivre de la vie de Dieu. On le trouve là pour l’ordinaire plus parfaitement et plus purement que dans la solitude corporelle : car sa bonté bénit l’âme obéissante, et ajoute à la grâce de l’obéissance celle de l’union.

Lettre CI, à sa nièce et filleule qui a 20 ans, 1646

 

Réflexion

« Faire en votre âme […] une solitude intérieure que vous puissiez garder partout ». Même si nous ne pourrons vivre en harmonie la présence à Dieu et la présence à nos travaux que par une grâce de Dieu qui fera de nous Marthe et Marie à la fois, cependant nous ne pouvons jamais attendre les grâces de Dieu sans rien faire. Nous devons montrer, par des œuvres, notre désir, nos efforts, notre bonne volonté, notre persévérance. À cela Dieu répondra par de nouvelles grâces.

Puiser au coeur de Jésus

Puiser au coeur de Jésus

Vivons en notre Jésus, mon très cher Fils ; que les approches de son sacré Cœur fassent découler dans les nôtres la vraie sainteté ; car c’est de ce Cœur sacré que découlent tous les trésors de grâce et d’amour qui nous font vivre de sa vie et nous animent de son esprit. C’est par lui que nous persévérons dans l’ordre des enfants de Dieu : Sans lui nous demeurons toujours en nous-mêmes, dans nos lâchetés, et dans des inconstances qui font que notre vie est une maladie continuelle et que nous ne touchons pas seulement du bout du doigt la solide vertu. Je vous conjure de demander à ce divin Sauveur une grande fidélité en tout ce qu’il veut de moi, car je veux, ce me semble, être toute à lui sans réserve : je lui demande la même grâce pour vous. Adieu, mais sans adieu ; visitons-nous en Jésus.

Lettre CXXIV, à son fils, 1649, p. 385

 

Réflexion

Toutes les grâces nous viennent du cœur de Jésus et ces grâces nous attirent à lui pour que nous « vivions de sa vie et de son esprit ». La « vraie sainteté », c’est cette union avec Jésus. Elle n’est pas un préalable comme s’il fallait être saint pour s’unir à Jésus. C’est notre union à Jésus qui nous rendra saints. Sinon tous nos efforts pour devenir meilleurs sont voués à l’échec,  « nous demeurons toujours en nous-mêmes ». La grande affaire pour le chrétien, c’est de ressembler à Jésus et, cela, seul Jésus peut le faire.

Suivre Jésus « avec une douce attention »

Suivre Jésus « avec une douce attention »

Il n’y a rien que nous devions tant appréhender que les dévotions écartées et qui ne sont pas fondées sur les maximes et sur la vie de Jésus-Christ : pour l’ordinaire la fin en est funeste. [...] Il ne me serait pas possible, quoique je sois une faible et imbécile créature, de goûter une dévotion en l’air, et qui n’aurait du fondement que dans l’imagination. Notre divin Sauveur et Maître s’est fait notre cause exemplaire, et afin que nous le puissions plus facilement imiter, il a pris un corps et une nature comme les nôtres. Ainsi en quelque état que nous soyons, nous le pouvons suivre avec sa grâce  […]. L’on trouve donc toujours à pratiquer ces maximes saintes, non avec effort ou contention d’esprit, mais par une douce attention à celui qui occupe l’âme, et qui donne vocation et regard à ces aimables lois. Voilà la dévotion qui me soutient sans laquelle je croirais bâtir sur le sable mouvant.

Lettres CXIII & CXXIII, à son fils, 1648 & 1649, p. 345 & 374

 

Réflexion

Quelques explications du vocabulaire : Jésus,  « cause exemplaire » veut dire qu’il est notre modèle, que notre vocation est de lui ressembler ; « imbécile créature » veut dire faible, infirme, impuissante ; « dévotions écartées », on pourrait dire des spiritualités qui s’écartent de la foi de l’Église. La vraie vie spirituelle consiste à vivre comme et avec Jésus toutes nos journées. Et Marie recommande que nous le fassions « avec une douce attention » à Jésus. Ce qui est premier et dont tout découlera c’est d’être en relation constante avec Jésus.

Goûter au cadeau de la foi

Goûter au cadeau de la foi

Les cérémonies de l’Église, dès mon enfance, attiraient puissamment mon esprit. Je trouvais cela si beau et si saint que je ne voyais rien de semblable. Étant devenue plus grande et capable de concevoir leur signification, mon amour s’augmentait ensuite de l’admiration qu’avait eue mon esprit, voyant la sainteté et majesté de l’Église. Cela augmentait aussi ma foi et me liait à Notre-Seigneur d’une façon tout extraordinaire. Je m’épanchais en actions de grâces de ce qu’il lui avait plu me faire naître de parents chrétiens et de ce qu’il m’avait appelée à la vocation de fille de l’Église. Plus j’avançais en connaissance, plus j’avais de touches et d’amour pour ces saintes cérémonies de l’Église. […] J’avais une si vive foi pour tout ce que l’Église fait qu’il semblait que c’était ma vie et mon aliment.

Relation de 1654, p. 56-57

 

Réflexion

Pour ceux d’entre nous qui sont nés de parents chrétiens et qui ont été baptisés dès leur enfance, il y a vraiment de quoi rendre grâce. Nos parents n’ont peut-être pas été parfaits et exemplaires en tout (comme nous d’ailleurs !) mais quelle gratitude leur devons-nous d’avoir demandé pour nous la foi et de nous avoir fait entrer dans l’Église ! Ce sont peut-être les convertis, que Jésus tout seul est allé chercher pour les conduire à son bercail, qui sont le plus conscients de la grâce insigne de la foi et du baptême et qui nous le rappellent.

Croire en l’Eucharistie

Croire en l’Eucharistie

Plus j’approchais des sacrements, plus j’avais désir de m’en approcher, parce que j’expérimentais que dedans eux je trouvais ma vie et tout mon bien et un attrait à l’oraison. [...] Le plus grand soulagement que [l’âme] trouve est dans la communion journalière, où elle est assurée qu’elle possède sa vie. Non seulement la foi vive lui dit, mais il lui fait expérimenter que c’est lui, par une liaison et union d’amour [...]. Quand tout le monde ensemble lui aurait dit que celui qui est dans l’hostie n’est pas le suradorable Verbe incarné, elle mourrait pour assurer que c’est lui. Après toutes mes fatigues que je prenais pour le service du prochain, mon corps reprenait ses forces par la manducation de ce divin pain et un nouveau courage pour recommencer tout de nouveau ce que naturellement je n’aurais pu.

Relation de 1654, p. 52 et 108 ; Relation de 1633, p. 174

 

Réflexion

Les sacrements sont une divine pédagogie : ils ont un aspect sensible et cependant leur efficacité est au-delà du sensible, dans la substance de notre esprit. Par l’aspect sensible, ils confortent notre foi, lui donnent un appui objectif, qui ne dépend pas de nos impressions, et nous assurent d’une action très profonde de Dieu en nous. Ainsi l’eucharistie : nous savons que Jésus est présent dans l’hostie ; même si nous nous sentons secs de sentiments, nous savons que Jésus se donne entièrement et inconditionnellement à nous et change notre vie.

« Converser avec Dieu » comme entre amis

« Converser avec Dieu » comme entre amis

Pour vos dispositions intérieures, prenez garde de vouloir trop avancer avant le temps. Quand il (Dieu) voudra que nonobstant vos occupations extérieures, vous ne le perdiez point de vue, il fera cela lui-même. Et de plus quand son esprit se sera rendu le maître du vôtre, et qu’il se sera emparé de votre fond pour vous tenir dans l’union intime et actuelle avec sa divine majesté par une vue d’amour, toutes vos occupations ne vous pourront distraire de ce divin commerce. Je dis dans « ce fond », parce qu’il n’est pas possible de traiter en ce monde des affaires temporelles sans s’y appliquer avec l’attention convenable du jugement et de la raison. Mais il y a deux sortes d’unions avec Dieu : quand on est actuellement occupé au dehors, l’union est d’un simple regard vers son divin objet, et on ne lui parle que par de petits moments. Mais quand l’âme est entièrement dégagée de l’embarras des affaires, elle converse avec Dieu comme un ami fait avec son ami.

Lettre CCVIII, à son fils, 1663, p. 715

 

Réflexion

Marie est établie depuis longtemps dans ce qu’elle appelle « son fond », c’est-à-dire dans ce sanctuaire très intime et très caché de notre personne où Dieu Trinité non seulement habite mais nous donne vie et toutes grâces. Celui qui est introduit là peut s’appliquer à ses diverses activités tout en restant occupé « d’un simple regard » vers Dieu dans ce fond. On ne peut fabriquer cet état, c’est un cadeau de Dieu. D’ordinaire, il faut parcourir un long chemin spirituel pour être capable de le recevoir, le temps peut-être d’accepter que ce soit « quand il voudra ».

Appartenir à Dieu

Appartenir à Dieu

Vous êtes obligé de vous mêler de diverses affaires, tant pour le spirituel que pour le temporel, dans lesquelles il ne se peut faire dans la condition de la faiblesse humaine, qu’on ne contracte un peu de poussière. Ces sortes de fautes ne sont pas des infidélités, mais des fragilités, qui se guérissent par ce fond d’union avec Dieu dans le cœur et dans l’esprit [...]. Et n’estimez pas que les distractions que vos études ou vos affaires vous causent, soient des infidélités, si ce n’est que vous vous amusiez trop à raisonner sur des matières curieuses, ou controversées, ou sujettes à la vanité, ou enfin contraires à l’esprit de Jésus-Christ. […] L’action émanée des sources dont je viens de parler, est une espèce d’oraison parce qu’elle vient de Dieu et se termine à Dieu. Ainsi ne vous affligez point dans vos emplois. […]  Quand on appartient à Dieu, il faut le suivre où il veut.

Lettre CLXXVII, à son fils, 1658, p. 597

 

Réflexion

Tant que Dieu ne nous établit pas dans ce fond, les occupations extérieures vont nous distraire de l’attention à Dieu, elles vont absorber toutes nos énergies. Cela est d’autant plus sensible si cette activité est en grande partie intellectuelle. Mais, si ces occupations sont notre devoir d’état, même si elles nous font oublier la relation à Dieu, nous dissipent, elles sont voulues par Dieu. Il s’agit seulement de les faire au motif qu’elles sont volonté de Dieu et rester dans les limites de ce que mon devoir me demande.

Prier avec son coeur

Prier avec son coeur

Ne faites-vous point quelque peu d’oraison mentale ? Cela vous servirait beaucoup, même pour la conduite de votre famille et de vos affaires domestiques ; car plus on s’approche de Dieu, plus on voit clair dans les affaires temporelles, et à la faveur de ce flambeau on les fait beaucoup plus parfaitement. On apprend à faire ses actions en la présence de Dieu, et pour son amour : on n’a garde de l’offenser quand on le voit présent : on s’accoutume à faire des oraisons jaculatoires [brèves et spontanées] qui enflamment le cœur, et attirent Dieu dans l’âme ; ainsi de terrestre on devient spirituel, […] on est dans un petit paradis où Dieu prend ses plaisirs avec l’âme, et l’âme avec Dieu. Dans les occupations néanmoins que je sais que cause votre négoce, Dieu ne demande pas de vous que vous fassiez de longues oraisons, mais de courtes, et qui soient ferventes.

Lettre LXXXIV, à sa sœur veuve – en charge de 11 enfants et d’un commerce –, 1644, p. 236

 

Réflexion

« Plus on s’approche de Dieu, plus on voit clair dans les affaires temporelles ». Assurément, puisque l’on emprunte à Dieu son regard sur les situations ! Toujours la question : comment, dans les activités débordantes, rester à l’écoute du Seigneur ? Marie conseille un moyen que toute la tradition conseille : les oraisons jaculatoires. Ce sont des petites invocations, des appels à l’aide spontanés, le nom de Jésus murmuré, juste un regard vers Jésus, au milieu des occupations de nos journées. C’est aller boire, comme à la dérobée, une gorgée d’eau vive au cœur de Jésus.

S'aimer et aimer Dieu

S'aimer et aimer Dieu

Vous me demandez comme il est possible d’avoir le corps si près de Dieu et l’esprit si éloigné de lui ? La misère est grande en effet et est la vraie marque de nos infidélités. Comment il se peut faire que l’esprit se retire si injustement de Dieu, dites-vous ? Cela n’est que trop facile à notre misérable amour de nous-mêmes [...] ; et cette misérable vie de nous-mêmes emporte après soi tout l’esprit et le retire de son vrai et unique bien et ne vit plus que contre nature. C’est de là que naissent les violences qu’il nous faut faire, lorsque nous [...] sommes appelés à retourner à celui pour qui nous sommes nés. Puisque vous le voulez, je demande à Dieu pour vous le don d’oraison et surtout celui de l’humilité et vraie abnégation de vous-même, sans laquelle vertu, il n’y a point de vraie oraison ni de vrai esprit intérieur.

Lettre LXXXI, à son fils, 1644, p. 228

 

Réflexion

Se laisser aimer par l’amour que Dieu est et pouvoir aimer en retour est notre béatitude dès ici-bas. Mais nous avons un grand ennemi, c’est l’amour propre ! Il « emporte après soi tout l’esprit et le retire de son vrai et unique bien et ne vit plus que contre nature ». Cet amour de soi qui veut tout pour lui, pour sa gloire, sa réussite, son bien-être, sa tranquillité, son plaisir, est « contre-nature », car Dieu nous a créés à l’image de son Fils et pour lui ressembler. Jésus, le Fils de Dieu, nous a montré à quoi nous devons ressembler !

Prendre plaisir dans nos occupations

Prendre plaisir dans nos occupations

Vous me réjouissez de ce que vous aimez l’humilité. Conservez toujours l’amour de cette précieuse vertu, qui est le fondement solide, sans lequel tout l’édifice de la perfection que vous voulez élever en votre âme serait ruineux et de peu de durée [...]. Puisque vous le voulez, je demande à Dieu pour vous le don d’oraison et surtout celui de l’humilité et vraie abnégation de vous-même, sans laquelle vertu, il n’y a point de vraie oraison ni de vrai esprit intérieur, l’un et l’autre devant aller de même pas, autrement toutes nos dévotions sont suspectes.[...] Prenez votre plaisir dans les emplois que Dieu vous donne, vous y trouverez votre sanctification, et Dieu aura soin de vous par tout. Soyez élevé, soyez abaissé, pourvu que vous soyez humble, vous serez heureux et toujours bien. [...] Demandez (à Jésus) qu’il obtienne cette haute vertu pour moi, car c’est elle qui fait les saints.

Lettres LXVIII, LXXXI, CCLXVII, CXXVIII, à son fils, 1643, 1644, 1670, 1650, pp. 188, 288, 898, 396

 

Réflexion

L’humilité n’a généralement pas bonne presse parce qu’elle a fait l’objet de tant de caricatures ! Pourtant « c’est elle qui fait les saints ». Et si l’humilité c’était de retrouver notre condition de créature face à notre Créateur ? Autrement dit, si c’était la vérité de ce que nous sommes devant Dieu, alors nous serions souples et disponibles comme l’argile entre les mains du potier, libres de laisser Dieu faire de nous des chefs-d’œuvre. Nous saurions que nous sommes ses enfants bien-aimés. Mais il y a le fameux ennemi: l’amour-propre !

Aimer sans mélange

Aimer sans mélange

Oh ! Qu’il y a loin de nous à la pureté de Dieu, et que la purgation d’une âme qu’il veut toute pour lui et qu’il veut élever à une haute pureté est une grande affaire ! Je vois ma vie intérieure passée dans des impuretés presque infinies, la présente est comme perdue, et je ne la connais pas ; elle ressent néanmoins des effets et des avant-goûts de cette haute pureté où elle tend, et où elle ne peut atteindre. Ce ne sont pas des désirs, ni des élans, ni de certains actes qui font quasi croire que l’on possède son bien ; non, c’est une vacuité de toutes choses, qui fait que Dieu demeure seul en l’âme, et l’âme dans un dénuement qu’elle ne se peut exprimer. [...] Il est donc question d’une grande pureté en tout, et par tout, et d’une pureté comme j’ay dit, sans mélange, pour faire du progrès dans la vie mystique, et pour arriver à la perfection où Dieu nous appelle.

Lettre LXXXVII, à Mère Françoise de Saint-Bernard, 1644, p. 242 ; Lettre CLV, à son fils, 1654, p. 528

 

Réflexion

La pureté a plusieurs niveaux en nous : la pureté abîmée par les images ou actes sensuels n’en est qu’un aspect, celui qui touche le corps. On parlera de pureté d’intention quand l’amour de Dieu et du prochain n’est plus mélangé de recherche de son intérêt propre. Encore un niveau de pureté plus profond, celui qui touche notre esprit devant Dieu. C’est de cette pureté dont parle Marie ici : elle est devant Dieu comme un espace ouvert, libre, offert, sans retour sur soi, sans regard sur soi, « sans mélange ». Expérimenter ce degré suppose avoir purifié les précédents.

Unifier sa vie

Unifier sa vie

Une fois, étant en oraison, il me donna une nouvelle lumière de la pureté qu’il faut avoir pour s’unir vraiment à lui. Je voyais d’une façon admirable une âme et tout ensemble la majesté de Dieu. Cette âme avait une pureté céleste, n’ayant aucun atome d’imperfection, et ainsi sans entre-deux, elle se joignait à son Dieu qui l’attirait comme un aimant sacré pour l’abîmer en son sein, et il me fut enseigné que telle était la pureté de la très sainte Mère de Dieu. Cette façon de voir n’était point imaginaire mais toute spirituelle […]. Je me souviens d’avoir vu dans la théologie mystique de saint Denis une chose qui me peut aider à m’expliquer : voir Dieu en de très claires ténèbres. Après cette vue, et même, à l’instant, Dieu me fit voir si clair, que la plus petite chose me semblait impureté, et j’avais une continuelle vue que rien n’approchât de mon cœur qui le pût empêcher de s’unir à son bien.

Relation de 1633, p. 160

 

Réflexion

Le baptême nous lave du péché originel et nous fait fils dans le Fils. Notre cœur profond est dans cette pureté. Mais nous gardons la tendance au péché : nous sommes entravés dans notre liberté par le manque de foi et l’amour-propre. Marie, introduite là, sent qu’une vigilance reste nécessaire : « j’avais une continuelle vue que rien n’approchât de mon cœur qui le pût empêcher de s’unir à son bien ». La Vierge, elle, en ce centre ne faisait qu’un avec son Fils, de là lui venait une lucidité parfaite pour reconnaître le bien et une parfaite bonne volonté pour le choisir.

 

Centrer sa vie sur Dieu

Centrer sa vie sur Dieu

Ah ! Mon très-cher fils, rendez-vous digne d’être le temple véritable du Dieu vivant : videz-vous de tout pour faire place à son divin Esprit. C’est là un grand point, et peu de personnes connaissent l’importance de cette vie cachée qui [...] ne peut souffrir de mélange. Quand je parle de mélange, je ne veux pas parler des emplois, quoique dissipants, que l’on peut avoir dans les affaires temporelles et extérieures. Le mélange que je veux dire, c’est nous-mêmes, dont pour l’ordinaire nous sommes remplis, et qui fait que, sous l’ombre du zèle de la gloire de Dieu ou sous le prétexte de quelque autre motif de piété, nous courons après les appétits de notre propre excellence, ou de notre propre amour. Cela se fait si finement, que quelquefois les plus éclairés y sont pris et trompés, en sorte qu’ils se perdent, ou du moins ils souffrent un grand relâchement dans la vertu et dans la vie spirituelle.

Lettre CLV, à son fils, 1654, p. 527-528

 

Réflexion

Nous ne sommes pas simples, nous sommes « mélangés » et Marie précise que ce n’est pas le fait d’être remplis de distractions par nos occupations qui fait que nous ne sommes pas unifiés : « le mélange que je veux dire c’est nous-mêmes ». Nous sommes tellement centrés sur nous-mêmes que nous sommes comme sans fondement. En effet, la créature ne peut pas être son propre centre, c’est du néant. Le centre se trouve en son Créateur qui lui donne l’être, la vie et le mouvement : « videz-vous… pour faire place à son divin Esprit ».

Dépasser l'amour-propre

Dépasser l'amour-propre

C’est un excès de notre misère d’avoir en nous le Saint des Saints, et n’être pas saint dès la première fois qu’on le touche, ou qu’on le reçoit. Ô mon très-cher Fils, qu’il y a loin de lui à nous, quoiqu’il soit en nous et uni à nous, l’ayant reçu au Très Saint Sacrement. Si nous voulions une bonne fois suivre et imiter notre vie et voie exemplaire, nous deviendrions saints dès la première communion. Mais quoi ! bien que nous ayons des moments de bonnes dispositions que ce céleste Époux agrée, qui sont celles que l’Église ordonne pour communier dignement, et qui produisent en nous des effets de sanctification, nous sommes si faibles et si chétifs, que nous reprenons ce que nous lui avions donné, notre misérable amour propre ne pouvant souffrir un anéantissement aussi entier que le veut celui qui ne veut que des âmes qui lui ressemblent.

Lettre LXVIII, à son fils, 1643, p. 184

 

Réflexion

Tant de communions et si peu de progrès ! « Notre misérable amour-propre » : voilà toujours, à presque chaque page, notre ennemi n° 1 dénoncé par Marie. Tous les auteurs spirituels le disent à leur façon parce que c’est leur expérience. Il y a en nous, dit déjà saint Augustin, « un amour de nous-mêmes jusqu’au mépris de Dieu » qui doit devenir « un amour de Dieu jusqu’au mépris de nous-mêmes ». Non, nous ne perdons pas au change, car il s’agit de passer d’un faux amour à l’amour véritable d’où procède le divin bonheur d’aimer.

Trouver réconfort dans la Parole de Dieu

Trouver réconfort dans la Parole de Dieu

Notre-Seigneur permit que je passasse par diverses tentations. Le diable me représentait une troupe de singeries [...]: « à quoi bon cet assujettissement à un directeur ! » [...] « il n’y avait point de mal de suivre sa propre volonté ! » Il semblait que mon imagination fût un avocat éloquent qui remuait tout son train. Entre autres, je m’imaginais que j’étais une hypocrite, et que jusque-là j’avais trompé mon directeur [...].Une crainte me saisissait et me disait que j’étais trompée. Je m’abandonnais à Dieu en cette affliction et ne laissais pas de suivre mon train ordinaire. Il est vrai que la peine est bien grande, mais l’âme expérimente que d’elle-même elle n’aurait pu porter la tentation. Si cette parole de Dieu n’était venue en elle, elle est l’impuissance même : Je suis avec ceux qui sont dans la tribulation. Alors, cette expérience influe une vertu secrète qui aide à porter le faix de la tentation et fait qu’on se rend invincible.

Relation de 1654, p. 111ss                                            

 

Réflexion

Nous avons déjà rencontré cette Parole sur laquelle Marie appuyait sa foi quand des travaux étaient au-dessus de ses forces et, ici, dans les rudes tentations qu’elle subissait. C’est toujours l’acte de foi, qui s’appuie sur ce que Dieu dit, qui la rend victorieuse des difficultés. Car, si Dieu est avec nous, tout peut bien s’agiter autour de nous, la tempête faire rage, qu’avons-nous à craindre ? Rien, mais trop souvent notre peu de foi n’adhère que très imparfaitement à celui qui paraît dormir dans la barque.

Dépasser la curiosité

Dépasser la curiosité

Dans la voie par laquelle il a plu à Dieu me mener, je n’ai jamais eu de curiosité de savoir davantage, et j’ai reconnu que c’est une notable imperfection que d’appéter de savoir par sa propre industrie [...] Je ne veux pas parler de ce qu’il faut savoir par méthode pour bien vivre et s’instruire dans le chemin de la vertu, et enfin pour ne pas errer ; les pères spirituels et les livres à qui il faut avoir recours sont pour cela ; mais j’entends [parler] des grâces et lumières extraordinaires [...], et ce serait une lourde faute que l’esprit de nature y voulût mettre du sien pour chercher au-delà de sa capacité. À ce propos, j’ai autrefois eu en mon esprit ce passage de l’Écriture sainte : Comment es-tu tombé, Lucifer qui te levait au matin ? Et je voyais que ce n’était que la pure curiosité d’être et de savoir au-delà de ce pourquoi Dieu l’avait créé [...] Non, il n’y a rien en ces matières extraordinaires capable de perdre l’âme comme la curiosité.

Relation 1654, p. 169-170

 

Réflexion

La curiosité par rapport aux grâces extraordinaires, curiosité de savoir, de comprendre, avec gourmandise ou envie ou désir de s’élever est, bien sûr, à l’opposé de la pauvreté spirituelle. Marie de l’Incarnation n’hésite pas à les relier à l’esprit de Lucifer. Quand les grâces viennent de l’Esprit de Dieu, elles sont accompagnées de détachement, de réserve : on cherche à comprendre ce qui est nécessaire pour y correspondre fidèlement et sans plus : « je n’ai jamais eu de curiosité de savoir davantage ».

 

Louer Dieu pour ses miséricordes infinies

Louer Dieu pour ses miséricordes infinies

Allons donc purement à la source, mon très-cher fils, et donnons ensemble gloire et magnificence à notre Bienfaiteur pour les excès de ses miséricordes sur nous : et pour celles qu’en particulier sa très-aimable bonté m’a faites, aidez-moi à lui chanter des louanges qui n’aient fin qu’avec la vie, pour les continuer ensuite dans l’éternité. Confessons ensemble qu’il nous a tout donné gratuitement par son élection sainte, sans qu’il y ait rien eu de notre part qui ait pu prévenir sa volonté pour nous enrichir de tant de biens, et nous faire des dons si magnifiques. Et pour moi je confesse que lorsque ce Dieu de bonté m’a appelée, j’étais digne de tout rebut et de tout mépris, et qu’encore à présent qu’il me comble de ses richesses je ne vois point que je corresponde à ses grâces ni que je seconde ses desseins [...] Confessons donc et louons le Seigneur parce qu’il est bon, et que ses miséricordes sont éternelles.

Lettre CLV, à son fils, 1654, p. 527

 

Réflexion

Quel bel exemple de prière de louange ! Nous pouvons bien prendre à notre compte tout ce qui y est dit, cela s’applique tout aussi bien à chacun de nous. Dieu ne nous a-t-il pas tout donné gratuitement, sans nul mérite de notre part, en nous donnant son Fils, en faisant de nous des fils par le baptême, en nous invitant à manger son pain à sa table, en désirant notre compagnie à chaque instant. « Que pouvais-je faire pour ma vigne que je n’ai fait ? » Oui, « louons notre bienfaiteur pour les excès de ses miséricordes ».

Trouver un trésor: la Parole de Dieu

Trouver un trésor: la Parole de Dieu

Je ne trouvais rien de plus grand que d’annoncer la parole de Dieu, et c’était ce qui engendrait dans mon cœur l’estime de ceux auxquels Notre-Seigneur faisait la grâce de la porter et de la produire. Lorsque je l’entendais, il me semblait que mon cœur était un vase dans lequel cette divine parole découlait comme une liqueur. Ce n’était point l’imagination, mais la force de l’Esprit de Dieu qui était en cette divine parole, qui par un flux de ses grâces, produisait cet effet dans mon âme, laquelle ayant reçu cette plénitude abondante, ne pouvait la contenir qu’en l’évaporant en traitant avec Dieu en l’oraison ; et même, il me fallait parler par paroles extérieures, parce que ma nature ne pouvait contenir cette abondance : ce que je faisais à Dieu avec une grande ferveur, et aux personnes de notre maison, leur disant ce que le prédicateur avait prêché et mes pensées là-dessus qui me rendaient éloquente.

Relation de 1654, p. 54

 

Réflexion

Il y a des personnes que Dieu choisit pour porter aux autres la Parole et pour la leur expliquer. C’est l’Église qui reconnaît à certains cette vocation, cette mission. Dès lors, Dieu y attache une grâce particulière : le prêtre peut ne pas être inspiré, pas éloquent, pas à notre goût, si ce qu’il dit correspond à l’enseignement de l’Église, nous avons tout intérêt à l’écouter avec ouverture car dans ses paroles, Jésus nous touche et nous instruit, à la mesure de notre humilité. C’est le cœur de Marie qui « était un vase dans lequel cette divine parole découlait ».

 

Nourrir son âme

Nourrir son âme

Dans une intime union avec sa divine majesté, j’avais connu que mon Époux était comme le sein et la poitrine du Père éternel, duquel découlait un grand fleuve et torrent de grâces qui était son Saint-Esprit, qui inondait tous les saints et les nourrissait de sa divine vie. Or, c’était de cette vie et de cet Esprit que mon âme était nourrie, en sorte que dans sa plénitude et exubérance, je ne pouvais m’empêcher qu’il n’en rejaillît quelques étincelles dehors. Si quelqu’une (de mes sœurs) me visitait comme je faisais un ouvrage très délicat pour l’autel, si l’on me parlait, mes réponses portaient toujours quelque chose de ce feu, en sorte que j’avais la réputation de ne parler que par sentences. Ces sentences étaient des passages de l’Écriture sainte qui, sans raisonner, étaient ajustés à mes réponses.

Relation de 1654, p. 196-197

 

Réflexion

Sous des images et symboles, Marie essaie de traduire l’expérience qu’elle a faite des Personnes divines, de leur vie de relation et comment elles communiquent la plénitude de leur amour aux saints déjà au ciel et à ceux qui, sur terre, se livrent pleinement à l’amour de Dieu. Ainsi Marie expérimentait que son « âme était nourrie de cette même vie et de ce même Esprit » que les habitants du ciel. Parce que Marie était plus grande que les autres ? Non, parce qu’elle était devenue toute petite, toute remise entre les mains de Dieu.

Devenir disciple-missionnaire

Devenir disciple-missionnaire

Je n’ai point de peine à croire que Dieu vous donne du zèle et de l’affection pour le salut des âmes, quoique cette vocation soit générale. Dieu commence souvent par la générale, puis il arrête le cœur dans le lieu où il l’appelle, soit pour y être actuellement, soit pour se faire prier pour les âmes de ce lieu-là, ou pour leur faire du bien en d’autres manières. Ma vocation a été de la sorte. J’ai été plusieurs années sans savoir où arrêter mon esprit ; voilà la vocation générale ; puis Dieu me fit connaître que c’était en Canada qu’il se voulait servir de moi ; et enfin il en a fait l’exécution. Souvent je rejetais les mouvements que Dieu me donnait à cause de la grande disproportion de ma condition à celle qui m’était proposée intérieurement ; mais une répréhension aussi intérieure me redressait aussitôt pour me faire suivre Dieu dans le temps de son ordonnance que j’attendais avec tranquillité m’abandonnant à ses divines volontés.

Lettre XCIV, à son fils, 1645, p. 270

 

Réflexion

Marie énonce ici comme une loi spirituelle : si Dieu veut donner à une personne une mission apostolique particulière, il commence par lui donner un esprit apostolique qui donne une sollicitude pour l’Église et le salut des âmes en général. Une fois cet esprit apostolique bien enraciné, s’il lui plaît, il appelle alors à une mission plus particulière. C’est ce qu’a vécu Marie : elle a brûlé d’esprit apostolique pour le monde entier jusqu’à ce que Dieu l’appelle à la mission particulière du Canada.

Accueillir l’Esprit Saint

Accueillir l’Esprit Saint

Le présent le plus précieux en tout est l’esprit du sacré Verbe incarné. C’est cet esprit qui fait courir par mer et par terre les ouvriers de l’Évangile. Je vous dis que c’est un présent parce qu’il ne s’acquiert pas dans une méditation. Il peut néanmoins arriver que Dieu le donne à une âme, et même en une petite [âme] faite avec un parfait amour de Dieu et une entière haine de soi-même. Mais pour l’ordinaire il le donne après beaucoup de sueurs dans son service, et de fidélité à sa grâce. Ce don est une intelligence de l’esprit de l’Évangile [...] Cet excellent Sermon de la montagne et celui de la Cène sont la force et le bastion des âmes à qui Dieu fait ce présent [...] Cette approche amoureuse du sacré Verbe incarné porte dans les actions une sincérité, droiture, franchise, simplicité, fuite de toutes obliquités.

Lettre CXXIII, à son fils, 1649 p. 376 ss

 

Réflexion

L’esprit du Verbe incarné, Marie l’appelle aussi d’autres fois « l’esprit apostolique ». Elle dit que c’est une grâce, une grande grâce que Jésus fait à ceux qui lui sont unis, et une grâce qui les remplit du zèle dont lui-même est rempli pour le salut de ses frères. Cette grâce leur fait compter pour rien les peines et dangers de la mission. C’est elle qui fait tout quitter aux missionnaires, comme Marie elle-même, et qui fait accepter le martyre comme beaucoup de jésuites alors en Nouvelle-France. C’est un zèle dévorant qu’on ne peut fabriquer, mais on peut le demander.

« Rouler dans les vouloirs divins »

« Rouler dans les vouloirs divins »

Vous direz, je m’assure, que je ne suis pas sage, d’avoir à l’âge de cinquante-trois ans les sentiments que je vous déclare. Mais pensez ce qu’il vous plaira ; si l’on me disait, il faut maintenant partir pour aller aux Indes, ou à la Chine, ou aux Iroquois, afin d’en apprendre la langue et de travailler à leur conversion, me voilà prête, mon intime Mère. Mais je ne suis pas digne de ce bonheur. Mon cher Jésus m’occupe à d’autres choses : je roule dans sa volonté, je suis contente, et quelque croix qu’il m’arrive, je ne veux point sortir de ce centre. Voilà ma vocation et ma disposition, pour laquelle je vous supplie au nom de notre divin Sauveur et Maître, de lui demander que je lui sois fidèle, car je n’ay rien de moi que le péché et l’imperfection.

Lettre CLI, à Mère Françoise de Saint-Bernard, 1653, p. 507

 

Réflexion

« Je roule dans sa volonté… je ne veux point sortir de ce centre. » Marie garde beaucoup de désirs apostoliques un peu fous. Ils sont l’expression de son amour, de son désir « de s’effeuiller » tout entière pour Jésus, dirait Thérèse de Lisieux. Aussi ses désirs sont subordonnés à « sa vocation et sa disposition » et au centre de sa vie : la volonté de Dieu et rien d’autre. L’abandon de soi à la volonté de Dieu n’éteint pas les désirs, les ardeurs, les passions de l’amour, au contraire : il s’en sert pour être plus vibrant et brûlant.

Suivre Jésus dans l’ordinaire de nos vies

Suivre Jésus dans l’ordinaire de nos vies

Il y a encore un autre état qui met l’âme dans une espèce de nécessité de la fidèle pratique de l’imitation de Jésus-Christ ; [...] l’âme voit tout d’un coup en son Jésus les vertus divines qu’il a pratiquées, dans un attrait très doux qui la porte à le suivre dans ses actes. [Dans cet état], l’âme a deux choses : savoir la pratique extérieure des maximes de l’Évangile et la familiarité intérieure par rapport à la vie intérieure de Jésus. Je n’aurais jamais cru, mon très cher fils, que la vie la plus sublime consiste en cela, car dans l’apparence il y a des temps d’extase et de ravissement qui sembleraient être quelque chose de plus sublime ; mais non, Notre Jésus, sa sainte Mère et les saints apôtres nous sont des témoins fidèles du contraire.

Lettre CXIII, à son fils, 1648, p. 343

  

Réflexion

Marie de l’Incarnation a connu des périodes de grâces extraordinaires : ravissements, extases… et maintenant elle comprend – ce que disent tous les grands spirituels – que « la vie la plus sublime » n’est pas dans ces états mais dans une vie ordinaire, comme celle que Jésus et Marie ont pu vivre à Nazareth. Une vie divinement humaine et ordinaire. Rien qui paraisse à l’extérieur, mais à l’intérieur « la familiarité avec la vie intérieure de Jésus ». Ce que les mystiques rhéno-flamands appelaient « la vie commune ».

Voir Dieu, mon seul Amour

Voir Dieu, mon seul Amour

Lorsque Notre-Seigneur me donna la vocation religieuse, sa miséricorde m’en fit connaître la valeur. Toute mon âme avait une tendance à cette sublime vertu que je voyais tenir le haut bout dans la vie sublime du Fils de Dieu, car dans elle je voyais toutes les autres vertus renfermées et son but n’était que le pur et nu amour qui dans sa simplicité n’a plus que Dieu seul. Mais je n’avais pas en ce temps-là l’expérience de ce que l’Esprit de Dieu voulait faire dans mon âme et à mon esprit pour lui faire expérimenter le substantiel de cette véritable pauvreté d’esprit spirituelle, ce que depuis il a fait de suite en suite dans les changements d’états intérieurs par lesquels il a plu à sa divine majesté me conduire [...] [il faut] l’avoir expérimenté pour croire jusqu’à quel point il réduit la créature en la plus noble portion d’elle-même.

Relation de 1654, p. 340

 

Réflexion

La pauvreté d’esprit est un autre nom de la pureté. Il s’agit toujours de cet état « sans mélange » où Dieu seul habite, c’est le « pur et nu amour qui dans sa simplicité n’a plus que Dieu seul ». Dieu seul peut conduire et établir dans cet état, qui n’est pas destruction mais oubli de soi, comme si on n’était pas, parce que l’important c’est Jésus. Comme tous les spirituels, Marie dit qu’on ne peut imaginer jusqu’où va cet abandonnement de soi : « jusqu’à quel point il réduit la créature », non pas à rien mais « en la plus noble portion d’elle-même ».

Habiter « Au centre de mon âme »

Habiter « Au centre de mon âme »

L’état que maintenant j’expérimente est une clarté tout extraordinaire dans les voies de l’Esprit du Verbe incarné, lequel j’expérimente dans une grande pureté et certitude être l’Amour objectif, et que tout ce qu’il a dit a esprit et vie en moi. L’âme expérimente que le Père et le Verbe incarné ne sont qu’un avec l’Esprit adorable, quoiqu’elle ne confonde point la personnalité ; le même Esprit me fait tantôt parler au Père éternel, puis au Fils et à lui. Sans que j’y fasse réflexion, je me trouve disant au Fils: « Mon bien-aimé, mon très cher Époux, je vous demande que votre testament soit accompli en moi », et j’expérimente que c’est le Saint-Esprit qui me lie au Père et au Fils. Et je suis sans cesse dans ce divin commerce, d’une façon et manière si délicate, simple et intense, qu’elle ne peut porter l’expression.

Relation de 1654, p. 353, treizième et dernier « état d’oraison »

 

Réflexion

Dieu « réduit à la plus noble portion d’elle-même » la personne livrée à son action. Cette « plus noble portion », c’est l’enfant de Dieu en nous. Pour Marie, la vie d’enfant de Dieu c’est sa vie, participant aux échanges, aux relations des Personnes divines : « je suis sans cesse dans ce divin commerce, d’une façon et manière si délicate, simple et intense ». Dans son fond, c’est l’air qu’elle respire sans même faire l’acte volontaire de le respirer : « c’est un air si doux dans le centre de l’âme où est la demeure de Dieu ». Les arrhes de la vie éternelle.